Dossier : quelle différence de rendement pour les chaussures ?

>Voir notre première partie : quel niveau de gamme pour une paire de chaussures ?

Nous avons comparé sur le terrain et sur home trainer à l’aide d’un capteur de puissance trois paires de chaussures Shimano, prévues pour une pratique occasionnelle, sérieuse et régulière, et de niveau professionnel. Les écarts se creusent lors des fortes sollicitations. 

Trois modèles caractéristiques

Nous comparons maintenant trois modèles route d’entrée, de milieu/haut de gamme, et de très haut de gamme chez Shimano, l’une des marques les plus actives sur le marché de la chaussure cycliste, et l’une des plus présentes en magasins aussi avec sept modèles dédiés à la route, deux modèles pour le triathlon et six modèles spécifiques pour les femmes. Différentes technologies employées, mais quelles différences sur le plan statique et sur le terrain ?

Commençons par les RP1, vendues à 80 € et proposées en deux couleurs (noires ou jaunes) et du 36 au 48. Elles disposent d’une semelle en nylon renforcée de fibres de verre avec un indice de rigidité de 6 sur 12 selon Shimano. La tige est en cuir synthétique et en mailles sur l’avant et le serrage est assuré par deux larges bandes velcro. La semelle extérieure est compatible avec les systèmes de cales SPD et trois points classiques, et bénéficie de la courbure spécifique Dynalast, pour optimiser la transition entre les phases de poussée et de remontée lors du pédalage.

La semelle intérieure est extrêmement simple et sans support. Le poids est de 232 g en pointure 40, ce qui est très léger pour la catégorie.

Viennent ensuite les RP9, des chaussures bien plus haut de gamme car vendues 260 €. Elles sont disponibles en quatre couleurs (blanc, noir, bleu électrique et bleu foncé) et du 36 au 50, avec demi-pointures et pointures larges. Il s’agît du modèle situé au troisième niveau en partant du haut de gamme chez Shimano, avec une semelle extérieure en composite de carbone avec un indice de rigidité de 10 sur 12.

La tige est en cuir synthétique microfibres et une structure perforée pour la ventilation et l’ajustement. Le serrage est assuré par une molette Boa qui actionne un fil sur les deux tiers du dessus du pied, ainsi qu’un velcro sur l’avant. Le talon est renforcé avec une sorte de cuvette rigide pour le maintien et le guidage et la courbure bénéficie là aussi de la forme Dynalast.

La semelle intérieure propose deux options de soutien de la voûte plantaire, avec un insert interchangeable. Enfin, le poids est de 226 g en pointure 40.

Les RC9 S-Phyre sont vendues encore 90 € de plus, à 350 €, soit le prix moyen des chaussures très haut de gamme des marques concurrentes. Elles sont disponibles en trois couleurs (bleu, jaune fluo, blanc) en plus de cette couleur noire en édition limitée, et du 36 au 48 avec demi-pointures et pointures larges. Légèrement moins cambrées que les RP9, elles bénéficient d’une tige directement liée à la semelle carbone, ce qui diminue la distance entre le pied et la pédale de trois bons millimètres. À notre connaissance, il s’agit des chaussures où l’épaisseur est la plus réduite. Comme il se doit, la rigidité est d’un indice de 12 sur 12. La tige est en cuir synthétique en microfibres Teijin Avail, et on remarque l’absence de languette, puisque la partie extérieure de la tige vient envelopper le pied progressivement lors du serrage, effectué grâce à deux molettes Boa IP1. Talon enveloppant et semelle intérieure avec cuvette de talon et deux inserts de soutien pour la voûte plantaire complètent le tableau, pour un poids de 224 g. Notons que le prix comprend une paire de chaussettes S-Phyre, solides et bien finies, censées favoriser le mouvement de pédalage.

À l’essai

En enfilant successivement les trois paires de chaussures, on note de vraies différences de sensations. Les RP1 sont étonnamment confortables, un peu comme des chaussures de running. On se sent enveloppé dans une sorte de coussinet doux, mais qui reste très souple. Les larges bandes de serrage ne créent pas de points de pression apparents. Par contre on manque clairement de maintien et de soutien. Les mouvements latéraux et en torsion du pied ne sont pas maîtrisés, et la voûte plantaire semble s’affaisser dans la chaussure en appuyant. De plus, en forçant un peu sur toute la longueur du pied, on sent la semelle fléchir un peu, au niveau de la cale. Les RP 9 sont beaucoup plus rigides à ce niveau-là, et le pied largement bien soutenu et maintenu. Le talon ne bouge pas et la voûte bénéficie d’un soutien largement supérieur. Beaucoup plus fine et moins moelleuse, la tige est relativement raide. Elle est au premier abord beaucoup moins confortable que celle des RP1, d’autant plus que l’ajustement avec des pieds fins se fait au prix de quelques plis, qui du coup sont assez désagréables, pouvant même finir par couper la circulation sanguine sur le dessus du pied.

Les RC9 S-Phyre surprennent par l’absence de bords rigides et par la souplesse de la tige. Il est donc nécessaire de serrer correctement les chaussures pour être maintenu, car sinon on a plutôt l’impression de rouler pied nu sur une semelle carbone. Celle-ci est très raide et large, ce qui créé une connexion parfaite avec la cale. Le soutien de la voûte est excellent, alors que l’absence de languette et une tige assez basse libèrent les mouvements de la cheville. La tige colle bien au pied lors du serrage, mais il peut subsister un point de pression désagréable à la longue avec le positionnement de la molette Boa supérieure en cas de serrage maximum. Au pied, les RC9 semblent en tout cas plus légères et surtout beaucoup plus stables que les deux autres modèles, alors que les poids sont très proches.

À l’épreuve du capteur de puissance

Mais tout ceci ce n’est que des sensations, et il nous tarde de savoir ce que cela peut changer en termes d’efficacité. Lors de la sortie des chaussures Comete Ultimate, Mavic annonçait par exemple un gain de 4,2 watts pour 70 % des testeurs par rapport aux Cosmic Ultimate. 4 watts, c’est souvent inférieur à la plage de précision d’un capteur de puissance, donc difficile à vérifier et à valider de notre côté. Mais nous parlons ici de trois modèles très différents, dont un à 80 € et l’autre à 350 €. Un modèle destiné aux cyclistes occasionnels, et l’autre utilisé par des professionnels. Nous avons d’abord établi un protocole sur home trainer, avec un même « circuit » effectué trois fois. Une pente simulée de 7% pendant 2 km à une vitesse stabilisée de 21 km/h, puis une pente simulée de 10% pendant 1 km à une vitesse stabilisée de 18 km/h. Nous avons ensuite relevé les fichiers, en comparant la puissance nécessaire pour chacune des montées avec chacune des paires de chaussures. Logiquement, à vitesse stabilisée, les chaussures les plus efficaces sont aussi les plus économes en watts.

« Surprise, car sur le premier test, on ne constate aucune différence entre les trois modèles. »

Surprise, car sur le premier test, on ne constate aucune différence entre les trois modèles. Pour rouler à 21,2 km/h de moyenne pendant 2 km sur une pente simulée de 7 %, les trois modèles réclament une puissance moyenne de 326 watts.

Pour rouler à 18,2 km/h sur une pente simulée à 10 % pendant 1 km, les RP9 se montreraient presque les plus économes : 369 watts de moyenne contre 373 watts pour les S-Phyre, et 372 watts avec les RP1, mais avec une vitesse de 18,3 km/h pour ces dernières.

Faut-il en conclure que les S-Phyre (les plus haut de gamme) sont les moins efficaces ? Pas sûr, car ce très faible écart reste en dessous de la précision revendiquée du capteur de puissance (1,5 %). Néanmoins, sur un effort comme sur un home trainer, avec uniquement des contraintes longitudinales et à des intensités stables et sous-maximales, on peut dire que les trois paires de chaussures son équivalentes. Ceci s’explique aussi par la cadence de pédalage, constante et relativement rapide compte tenu de l’effort à accomplir. La rigidité des chaussures est donc très peu mise à l’épreuve.

Sur route

Un test sur route s’impose donc, même s’il est plus difficile à mettre en œuvre. Sur un parcours identique, fait de fréquentes relances, petites bosses, faux plats, on remarque toujours le confort très étonnant des RP1, très agréables en tournant rapidement les jambes, et au contraire le relatif inconfort des RP9 qui procurent rapidement quelques fourmillements dans les pieds. Les S-Phyre se font quant à elles rapidement oublier en roulant, même si nous aurions préféré une puissance de serrage supérieure au niveau du cou de pied droit. Dans les relances et en danseuse, les RP1 semblent s’écraser, avec le manque de soutien de la voûte plantaire, une tige trop souple et un talon qui n’est pas maintenu. De plus, en pédalant en force, on sent un peu les contours de la partie la plus large de la cale sous la semelle. Les RP9 et S-Phyre sont ici beaucoup plus rigides et procurent l’impression d’être beaucoup mieux connectées au vélo. Pour réaliser un test comparatif en sortant de la zone de confort des chaussures d’entrée de gamme, nous avons choisi le pied d’une côte, avec une pente de 5% environ, en lançant un gros démarrage à fond sur 30 secondes d’effort. Le sprint est lancé toujours au même endroit, et la seule gestion consiste à pouvoir boucler les 30 secondes sans s’écraser. Premier effort avec les RP9, qui réclament  571 watts de moyenne sur la durée (et une puissance max de 736 watts), à une vitesse de 36,4 km/h.

Deuxième effort avec les RP1, qui réclament aussi 571 watts sur la durée (avec une puissance max à 734 watts), mais à une vitesse moyenne de 35,3 km/h.

Enfin, les S-Phyre démontrent ici l’écart des chaussures avec une semelle rigide et un bon maintien : une moyenne de 36,5 km/h pour une puissance moyenne de 565 watts (et toujours une puissance max de 736 watts).

Qu’en conclure ?

Les modèles d’entrée de gamme RP1 remplissent parfaitement leur rôle dans le domaine du confort et malgré des technologies employées qui ne sont plus tout à fait à la pointe pour le maintien et la rigidité et une conception simple, elles s’avèrent suffisantes pour les pratiquants qui roulent à vitesse régulière sans rechercher la performance extrême. Lors d’un effort violent comme un long sprint, elles perdent toutefois plus d’un kilomètre par heure, pour la même énergie déployée. Il ne faut pas oublier non plus que sur la route, il y a de fréquentes relances, avec parfois des pics de puissance plus importants sur des durées plus courtes. Et ce manque d’efficacité peut se révéler fatiguant à la longue. Les RP9 sont déjà beaucoup plus techniques avec une semelle très rigide, un bon soutien de la voûte plantaire, et d’excellents maintien et guidage du pied. La tige fine et assez raide associée à un système de serrage presque unique (la bande velcro à l’avant ne modifie pas beaucoup le maintien du pied) les rend par contre assez spartiates une fois aux pieds, ce qui incite à revoir fréquemment l’ajustement en roulant.

« Le prix de 260 € est déjà assez élevé, mais il semble que dans cette gamme de prix il faille encore faire le choix de l’efficacité ou du confort. »

Le prix de 260 € est déjà assez élevé, mais il semble que dans cette gamme de prix il faille encore faire le choix de l’efficacité ou du confort. En termes de poids, de rigidité, de maintien et de performance pure, elles sont très proches des chaussures les plus haut de gamme. Les S-Phyre regroupent au contraire toutes ces qualités, et font la différence pour ceux qui recherchent la performance sur de plus longues distances et dans des conditions plus variées. Elles ne sont toutefois pas indispensables pour un usage occasionnel ou contemplatif, dès lors qu’en position assise et au moins jusqu’à des puissances inférieures à 400 watts elles ne se montrent pas plus efficaces que des modèles d’entrée de gamme. Ensuite l’écart se creuse, et il est même probable que ce soit encore plus évident pour les cyclistes au grand gabarit avec une puissance plus élevée et des pieds plus longs. Cependant, il ne faut jamais oublier qu’il n’y a pas de règle absolue dans le domaine : la priorité, c’est d’abord de trouver une chaussure qui correspond à la forme du pied, et de vérifier si le système de serrage est suffisant pour maintenir sans comprimer et sans provoquer de points de pression. Il en dépendra ensuite la véritable performance à long terme.

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10 commentaires sur “Dossier : quelle différence de rendement pour les chaussures ?”

  1. Je ne suis pas compétiteur mais je prends généralement des chaussures haut de gamme car ce sont souvent les mieux ventilées et donc les plus agréables en été.
    En intersaison il est facile de mettre des sur chaussures fines qui font coupe-vent, et pour l’hiver j’ai des chaussures hiver dont le confort est incomparable bien que plus raide au niveau de la cheville

  2. A priori vous ne pouvez pas voir d’ecart de puissance car celle ci est mesurée après que les pertes de rendement de la chaussure aient été évacuées. Il faudrait faire un test type VMA avec le même cycliste dans des conditions similaires pour y voir plus clair ( ou mesurer sa FC a puissance identique)

    1. C’est ce qui a été fait dans le deuxième test sur route. Quant à la FC, elle n’est de toute façon jamais significative, et surtout pas sur HT (à cause des dérives cardiaques éventuelles).

      1. D’accord avec Nico : en mesurant la puissance au niveau vélo, vous ne pourrez pas mesurer la perte due aux chaussures, quel que soit le protocole, y compris sur route. Vous devez mesurez celle fournie par le cycliste ou utiliser un pantin motorisé.

        1. Nous ne mesurons pas uniquement la puissance, mais la vitesse dans des conditions identiques. Et logiquement, si nous pouvons comparer la vitesse, les chaussures qui réclament le moins de puissance dans les mêmes conditions et pour la même vitesse sont celles qui ont le meilleur rendement.

          1. L’énergie étant mesurée après les chaussures car le capteur est plus en aval de la chaîne de transmission de puissance, ni la valeur de vitesse, ni les relevés de puissance ne permettront de conclure. C’est de la physique de base. N’hésitez pas à vous rapprocher d’un expert en mesures pour aller plus loin. Je rejoins un commentaire précédent : un pantin instrumenté peut par contre permettre cette comparaison.
            Sportivement

  3. Bonjour
    Il y a effectivement un problème de protocole de mesure. Pour une même puissance mesurée sur le vélo, la vitesse sera toujours identique, les pertes dues à la chaussure sont déjà hors scope. Il faudrait pouvoir mesurer la puissance « sortie de pied ». Donc une semelle capteur de puissance (n’existe pas) ou un robot qui pédale et dont on connaît les paramètres de puissance demandée.

  4. En effet cet essai mal « ficelé »……
    Pour pédaler à 36,5 Km/h, quelle que soit la chaussure, il faudra toujours la même puissance sur le pédalier !!!
    Par contre, c’est le rendement qui diffère selon les chaussures. Il faut pour cela mesurer la consommation d’oxygène du coureur (i.e: sa dépense énergétique), à puissances identiques, avec différentes chaussures.
    Avec des chaussures très rigides, pour fournir 571 watts, il faudra dépenser moins d’énergie qu’avec des chaussures très souples

  5. Le protocole de test n’est pas bon, pour rouler à vitesse égale sur une pente et une distance égale il faudra toujours la même puissance, peu importe la chaussure.

  6. Bonjour , j’ai maintenant déjà 73 balais ( le temps passe vite ) ancien bon coureur fin 1960 début 1970 ( 4 ans en 1ere cathé ) , je fais toujours du vélo de route 3 a 4 sorties par semaine entre 60 et 110 kms de 29 a 33km de moyenne . Mon soucis c’est de pouvoir trouver de bonnes chaussures ( surtout pied gauche , car j’ai une déformation a l’orteil appelé Oignon … ) Même avec des  » spécialised a 400 euros elles sont trop étroites ( pied gauche uniquement ) je mesure 1m86 ..77 kg .. pointure 46 .
    Quel conseil pourriez-vous me donner pour trouver de bonnes chaussures ?
    Cordialement .
    Didier

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